Se développer à sa mesure

Joël Monzée, docteur en neurosciences, commente sur ce que vivent les enfants après presque deux années scolaires dans un contexte pandémique.

Joël Monzée siège aux tables de travail mises en place par Jean-François Roberge, député de Chambly et ministre de l’Éducation. Il souligne d’entrée de jeu que, depuis le début de la crise, les enfants se sont adaptés de façon telle qu’ils en arrivent à un état de résignation plutôt que de résilience. « L’aspect scolaire, pour moi, est secondaire, car le cerveau a avant tout besoin de sécurité pour pouvoir arriver à se développer. Quand un enfant est résigné ou en suradaptation, son cerveau sera « en mode » figé et ne créera plus de nouvelles synapses », explique le docteur en neurosciences, auteur, conférencier et psychothérapeute, qui rappelle que la maturation du cerveau est dépendante des synapses. Il conçoit la réussite éducative plus largement, « simplement » que par la réussite scolaire. « Pour le moment, on est trop centrés sur une réussite en termes de bulletin, plutôt que de voir à quel point les enfants sont en détresse […] c’est comme si l’on voulait que les jeunes fonctionnent comme s’il n’y avait pas de crise sanitaire », met en reflet le docteur.

Des enfants à Julie Snyder

Un segment de l’émission La semaine des 4 Julie, animée par Julie Snyder, a semé la controverse dernièrement. Questionnés sur la vaccination obligatoire par l’animatrice, des élèves accompagnés de leur enseignante ont affirmé être vaccinés et en faveur de la vaccination obligatoire. « On ne devrait jamais instrumentaliser les enfants. Pour moi, c’est une question d’éthique. Au-delà de ce que les enfants ont nommé devant les caméras, je suis beaucoup plus dérangé par comment les adultes réagissaient », expose l’homme d’origine belge. Il fait ici référence à la vague de spectateurs qui s’est fait entendre, applaudissant les affirmations des enfants placés sous les projecteurs. « On les a encouragés à se prononcer sur un sujet qui les dépasse », complète-t-il à cet effet.

« On ne devrait jamais instrumentaliser les enfants. Pour moi, c’est une question d’éthique. » – Joël Monzée

Clivage et intimidation

La vaccination est entrée dans les écoles depuis quelques semaines. Des parents ont choisi de faire vacciner ou non leur enfant, scindant ceux-ci en deux groupes. Cette différenciation laisse place à un « danger » que cible Joël Monzée. « C’est une forme d’intimidation. Qu’elle soit pour des opinions en termes de santé, de religion, de couleur de peau ou d’une origine, c’est une forme d’intimidation à être proscrite ». Il met en perspective le paradoxe voulant que d’un côté, les enfants soient sensibilisés à l’intimidation et, de l’autre, que l’on tolère que des élèves soient mis à l’écart pour des raisons vaccinales. « Et ces enfants se font une idée selon l’horizon de leurs parents. Ils sont dans des conflits de loyauté énormes. On devrait protéger nos enfants par rapport à tout ça et encourager le respect des uns et des autres », rapporte M. Monzée.

« Quand on essaie de nous faire croire que l’autre est un ennemi qui pourrait nous tuer ou tuer notre grand-mère à travers un virus transmissible, ça fait en sorte que l’autre n’est pas un ami sur lequel je peux m’appuyer pour construire une société saine et sereine », relativise le docteur en neurosciences.

Sacrifier des enfants?

Est-ce que certains enfants seront sacrifiés et ne se remettront pas de ce contexte qui n’est pas nécessairement favorable à leur développement? « Tôt ou tard, il faudra s’adresser aux conséquences psychosociales de la manière dont on a géré la crise », convient Joël Monzée. Il ajoute comme élément de réponse que, du point de vue d’un infectiologue, « on a possiblement bien géré la crise. Peut-être même qu’il aurait été plus sévère ». Toutefois, dans une perspective d’expert psychosocial, « moi, je vois les effets collatéraux, je vois la détresse, je vois le suicide, je vois les familles qui se déchirent, je vois les enfants qui sont complètement perdus. Il faudra reconstruire. Si l’on ne fait rien, il y aura des séquelles ». À savoir si, actuellement, les enfants sont davantage en train d’être abîmés que protégés, Joël Monzée met en relief que la COVID-19 est dangereuse principalement pour les personnes âgées de plus 60 ans et celles dont la santé est vulnérable. « On a mis nos enfants et ados dans un contexte où ils doivent vivre pour des choses qui ne les concernent pas de manière directe. C’est aux adultes de protéger les enfants et pas aux enfants de protéger les adultes. On a oublié ça, ces dernières années », termine-t-il.

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