Disparaître de fil en aiguille

Adrian Cambar Rodriguez est le « Cordonnier bien chaussé » de Chambly. Il exerce un métier appelé à disparaître en raison de la relève absente.

Le Cubain était traducteur dans son pays avant d’arriver au Québec en 2012. Pour exercer le métier de traducteur ici, Adrian Cambar Rodriguez avait plusieurs années d’études devant lui, étant donné que le pays ne reconnaissait pas son diplôme. « Avec une famille à nourrir, je ne peux pas retourner à l’école », a-t-il dit à sa femme à l’époque.

Habile de ses mains de nature, il a cogné à la porte du cordonnier aux Promenades St-Bruno. « Le gars m’a dit ‘’tu es cordonnier?’’. J’ai dit ‘’non, mais j’apprends vite…’’. » Le lendemain, il commençait à y travailler. Déménageant par la suite à Montréal, il s’est trouvé une seconde cordonnerie où peaufiner son art dans la grande métropole, au métro Alexis-Nihon. Il a ouvert boutique en 2016 à Chambly.

Le cordonnier associe ses principales activités à la confection ainsi qu’à la vente des produits consommables et des accessoires utiles pour l’entretien de ces principaux produits. La couture représente la moitié de sa tâche. Un bon cordonnier use d’imagination, de dextérité, de patience et d’organisation, en plus de l’amour de la qualité du travail. « Si tu aimes ce que tu fais et que tu le fais avec passion, tu deviendras un bon n’importe quoi dans la vie », explique le travailleur chamblyen. Entre les mains du Cordonnier bien chaussé, chaussures, bottes, valises, sacoches, manteaux, gants de baseball, etc., prolongent leur durée de vie. En cette ère de surconsommation, où tout se jette au premier signe de défaillance, il accorde à la matière une seconde chance. « À Chambly, les gens ne jettent pas. Ils ont une conscience et comprennent l’importance de la réparation, de la récupération matérielle », identifie le cordonnier. Il reconnaît qu’à Chambly, la dynamique concernant l’achat local contribue à une partie du succès de son entreprise.

« On est la dernière génération. Après moi, il n’y a personne. » – Adrian Cambar Rodriguez

Il sépare en deux sa clientèle. L’une qui aura acheté sa paire de souliers à 10 $ mais qui paiera 40 $ pour la faire réparer. « Tu te dis ‘’mais où est la logique?’’, mais les gens sont bien dans leurs godasses. Ils sont prêts à payer pour continuer à les utiliser », explique-t-il. Puis, il y a une seconde clientèle en parallèle; celle qui aura payé approximativement 1000 $ pour une paire de chaussures luxueuse et qui ne souhaite pas se départir de son bien en raison de son coût élevé. « Les gens portent aussi une attention au savoir-faire et se soucient de ce qu’ils ont dans leurs pieds », ajoute l’artisan de 44 ans.

Par semaine, Adrian Cambar Rodriguez passe environ 65 heures dans son atelier. De Montréal à Granby, des clients sollicitent ses services. Une trentaine de têtes entrent quotidiennement dans son commerce.

Un avenir précaire

Le métier de cordonnier attire peu les jeunes d’aujourd’hui et la relève se fait rare. La survie du métier est menacée. « Le métier va disparaître. On est la dernière génération. Après moi, il n’y a personne. Le mot ‘’cordonnier’’ ne fait pas partie du vocabulaire des jeunes. Déjà, moi, je suis bizarre, je suis rare », convient en riant celui qui a travaillé au Cirque du soleil dans le secteur des chaussures. Il mentionne que le métier est encore populaire dans certains pays d’Europe, contrairement à l’Amérique du Nord.

En présence du journal, M. Cambar Rodriguez exécute une réfection de semelle qu’il souhaite rendre antidérapante, faisant appel au rapiéçage. Après avoir sablé la semelle initiale avec son banc de finition, lui conférant une surface plus adhérente, il est prêt à tailler sa semelle. Utilisant la forme de la chaussure, il crée son gabarit sur un papier qu’il apposera sur une épaisse feuille de caoutchouc. Il y coupe ensuite la nouvelle semelle, qu’il collera sous le soulier d’origine.