Y laisser sa peau

La peintre montarvilloise Véronique Grauby, alias véroniKaH, expose ouvertement au journal son anorexie, état dans lequel elle vit depuis 40 ans.

Elle aura 55 ans en septembre. À 14 ans, l’anorexie est entrée dans sa vie.

« Au début, je l’ai niée, je ne l’acceptais pas. La nourriture nous fait peur et on ne laisse personne cuisiner dans notre maison. Avec le temps, on s’y fait et on fait la paix avec cette réalité », dévoile avec résilience l’artiste.

« L’anorexie est bien plus qu’un problème de nourriture, ce n’est que la pointe de l’iceberg. C’est comme quelqu’un qui a un problème de dépendance et qui ne fait que bouger un problème de place », met-elle en lumière.

Ce « problème », Véronique Grauby en a identifié la source.

« J’ai utilisé la nourriture pour me battre contre mes parents qui étaient très contrôlants. La façon que j’ai utilisée pour reprendre le contrôle de ma vie a été de leur dire qu’ils pouvaient contrôler tout sauf ce que je mettrais dans ma bouche. Ce n’était pas une question de minceur ou de beauté. C’était une vengeance envers mes parents, pour qui la période du repas à table en est une importante. »

Étant suivie au fil du temps par des psychologues et des psychiatres, Mme Grauby a éventuellement adressé la situation à ses parents lors d’une séance chez une psychologue à laquelle ceux-ci ont été conviés.

« Ils ont réagi en niant et en disant que c’était faux. Ma mère s’est ensuite mise à pleurer en disant que c’était sa faute si j’étais anorexique. »

Se punir

L’anorexie, Véronique Grauby l’a également utilisée à des fins punitives envers elle-même.

« Il m’est arrivé, par exemple, de ne pas signer un contrat pour le travail et de me dire que je ne suis pas une bonne personne. J’arrive à la maison, je ne mange pas pendant deux jours. Ou encore, je me chicane avec mon mari, je fais le lien que je ne suis pas une bonne épouse. Encore, je ne mange pas pendant deux jours », avoue celle qui trace la corrélation entre une situation dont elle n’a pas le contrôle et une reprise de contrôle en se privant de nourriture.

« J’ai utilisé la nourriture pour me battre contre mes parents qui étaient très contrôlants. » – Véronique Grauby

Prendre conscience de son état

Il a fallu que la native d’Agen, dans le sud-ouest de la France, se rende au bout du rouleau pour prendre conscience de son état. En 2000, elle a été hospitalisée à l’Institut Douglas, centre hospitalier qui soigne les personnes souffrant de maladies mentales.

« Je pesais 78 livres, j’avais 35 ans, j’étais alcoolique et je ne mangeais qu’une tablette de chocolat par jour. Je voulais mourir. Lors de l’hospitalisation, on m’a dit que j’étais un cas grave d’anorexie », relate la maman de trois enfants, qui se souvient de la visite en pleurs de son aîné qui avait 5 ans à ce moment.

À la suite de son passage à l’institut, duquel elle est sortie une fois son poids santé atteint, Véronique Grauby a mis le doigt, accompagnée d’une psychologue, sur la source du problème, soit celui de ne pas s’aimer.

« Je me disais que je n’avais pas le droit d’être sur la Terre, que je n’étais pas une bonne personne. Le jugement des autres a eu un gros effet sur moi. Le jugement de mes parents, pour qui je n’étais jamais assez bonne. À l’école, mes pairs me critiquaient. J’étais une tare, une nuisance, une moins que rien. J’avais l’impression que je n’avais pas le droit de vivre. Ce n’était pas de mon apparence dont je souffrais, mais bien de mon âme », estime la quinquagénaire.

Cas à part

Grande sportive, Mme Grauby fait de la marche, de la course et du vélo intensément. Comment un corps sous-alimenté peut-il soutenir ce rythme de vie?

« Mon médecin me dit que je suis un cas extrême; elle ne comprend pas. Mon corps s’est habitué, il a muté. Je fais partie du 2 % des anorexiques de longue durée qui fonctionnent très bien, sans trop savoir pourquoi », dépeint la femme qui assume en connaissance de cause.

Sauvée par l’art

La peintre laisse miroiter que c’est grâce à l’art si elle est en vie actuellement.

« J’ai commencé à peindre lors de mon hospitalisation. J’ai réalisé que quand je peignais, je n’étais plus dans mon corps. J’étais dans un monde virtuel de bien-être. Quand je fais une toile, les gens l’admirent. Le regard est déporté sur l’œuvre et non sur moi. À chacune des toiles que j’ai créées, j’ai appris, tranquillement, à m’aimer un peu plus. L’art m’a permis de m’apprendre à m’aimer », termine véroniKaH.

Il fut un temps où, avec obsession, Véronique Grauby se pesait systématiquement trois fois par jour. Depuis maintenant un an, elle ne le fait plus.

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