L’avenir de l’achat en ligne

Après la COVID

Le géant Amazon a triplé son bénéfice net lors du troisième trimestre de 2020, profitant de l’engouement pour l’achat en ligne et du confinement depuis la pandémie. Au lendemain du Vendredi fou, Shopify proclamait des ventes records, enregistrées sur sa plateforme, atteignant plus de 3 milliards de dollars en 24 heures; une hausse de 75 % par rapport à l’année dernière, selon le géant canadien de la vente en ligne.

Le commerce en ligne connaissait déjà une croissance depuis quelques années. La pandémie a fait propulser la tendance. Les achats en ligne ont explosé au cours des derniers mois en raison de la pandémie. Un exemple? Un sondage CROP commandé par La Presse, en octobre dernier, révélait qu’après la pandémie, quand tout sera derrière nous, 71 % des participants prévoient se tourner vers l’achat en ligne aussi souvent qu’actuellement, et 9 %, encore plus souvent.

Lorsque l’épreuve COVID-19 prendra fin, quand toute cette crise sanitaire ne sera qu’un mauvais souvenir, à quoi faut-il s’attendre du commerce en ligne dans l’avenir? Cette propension est-elle appelée à se poursuivre?

L’achat en ligne, un besoin

Depuis le mois de mars, la population s’est tournée vers le commerce en ligne pour effectuer ses achats. Certains décelant des bienfaits à ne pas se déplacer pendant le confinement et à éviter les contacts humains en contexte de pandémie. « Ce ne sont pas tant des avantages de l’achat en ligne, analyse la professeure agrégée au Département de marketing de l’École des sciences de la gestion à l’UQAM, Sandrine Prom Tep. Le commerce en ligne vient répondre à une circonstance, à un besoin, soit celui d’éviter les contacts avec les autres. »

« L’achat en ligne est devenu une habitude; les gens ne vont pas modifier ce comportement. » -Sandrine Prom Tep

Quant à l’avenir du magasinage électronique, Sandrine Prom Tep ne détient pas la vérité absolue, mais elle n’entrevoit pas d’accalmie. « Je n’ai pas de boule de cristal. Je dirais que le comportement humain est difficile à prédire; les meilleurs sondeurs du monde n’ont pas toujours raison. Mais à mon sens, tel que nous observons l’évolution de l’achat en ligne, la situation ne reviendra pas comme auparavant », poursuit l’experte en commerce électronique.

Selon Mme Prom Tep, le confinement prolongé a favorisé l’adoption de ce comportement vers les boutiques virtuelles. Pour cette raison – la durée du confinement se poursuit, d’ailleurs – les clients ne devraient pas laisser tomber cette habitude qu’ils ont acquise pendant cette période. « Le confinement est long », rappelle l’enseignante. D’une durée trop longue pour un retour en arrière, d’après elle. Elle reprend :« Ce n’est pas un confinement d’une semaine, ni de deux mois. En mars prochain, ça fera un an! Pourquoi changer d’avis, pourquoi revenir en arrière après la pandémie? Il n’y a aucune raison. À l’intérieur de 10-12 mois, l’achat en ligne est devenu une habitude; les gens ne vont pas modifier ce comportement. »

Qu’en pensent les commerçants?

Avant la pandémie, les propriétaires du Marché aux fleurs, à Saint-Bruno, offraient déjà la possibilité de magasiner en ligne sur le site Internet de l’entreprise. Or, la boutique virtuelle a été renouvelée lors de la crise sanitaire. « La pandémie nous a donné des ailes pour pousser encore plus loin le concept. Nous avons misé encore plus sur la boutique en ligne, en la bonifiant de plusieurs produits », raconte la copropriétaire, Isabelle Decamps. La conséquence de la situation : une hausse de l’achalandage pour l’achat en ligne de fleurs, de plantes, d’urnes funéraires et de produits d’artisans québécois. Or, nonobstant l’explosion de l’achat en ligne, elle n’appréhende pas la fin du consommateur qui se déplace en boutique dans l’avenir. Isabelle Decamps ne le croit pas. « Non, parce que le client va toujours vouloir toucher, voir, choisir les produits; ça demeure important. » Toutefois, elle admet qu’après la pandémie, elle ne reviendrait pas en arrière et ne se passerait pas de l’option de la boutique en ligne. « Pour d’autres raisons, elle satisfait aussi les clients. »

Lors du premier confinement, les propriétaires de Cafellini se déplaçaient localement, dans Saint-Bruno, Saint-Basile et Sainte-Julie, pour livrer des sacs de café commandés sur Internet. Depuis sa réouverture, les ventes en ligne ont légèrement chuté. « Mais encore aujourd’hui, la boutique en ligne nous aide à combler la baisse d’achalandage en succursales, confie le copropriétaire de Cafellini, Jordan Myall. Cette option-là est un plus, une aide. Même après la COVID, je ne fermerais pas les yeux sur la boutique virtuelle. » Cependant, le jeune homme reconnaît qu’il ne pourrait pas vivre uniquement du commerce en ligne. D’après lui, « ce n’est pas une raison de la négliger ou de passer à côté ».

Concernant la fin des commerces de proximité en raison d’un manque de clientèle, Jordan Myall indique qu’il n’est pas inquiet pour son secteur. « L’avenir est au commerce en ligne. Je pense qu’on s’en va vers ça de plus en plus. Par contre, je crois beaucoup à la restauration et aux contacts humains; à l’expérience client. On veut que les gens se déplacent, on veut les voir. C’est possible de se renouveler en succursale. »

Pendant le confinement printanier, la propriétaire des CocoNuts, Sarah Carey, a constaté une augmentation de l’achalandage sur sa boutique en ligne. « Nous avons connu une super belle hausse des ventes en ligne lorsque le gouvernement a demandé à la population d’encourager les commerces locaux », dit-elle. Un engouement qui se maintiendra dans le futur, après la COVID-19, selon l’entrepreneuse. « Les gens auront pris l’habitude du commerce en ligne afin de limiter leurs déplacements. Ça permet d’économiser sans se déplacer. Il y a une facilité. Certains ne sont peut-être pas à l’aise, mais maintenant, nous n’avons pas le choix. ». Certes, un engouement, mais qui n’annonce pas la fin des commerces de proximité, selon elle. « Il y en a pour qui c’est important de voir les produits, de poser des questions, surtout dans notre domaine, les produits de soins, pour une offre de services très personnalisée. »

Aux Promenades St-Bruno, l’achalandage est à la baisse depuis le début de la pandémie, nous a confirmé son directeur général, Mathieu Demers. « Les statistiques démontrent qu’il y a de plus en plus de ventes en ligne, mais est-ce qu’il y a une corrélation sur la diminution de notre clientèle? C’est difficile d’établir une relation. » M. Demers ne croit pas que cette baisse de consommateurs perdurera à long terme. « Les centres commerciaux sont des endroits pour socialiser, passer du temps et rencontrer des amis, de la famille. Il y aura des occasions pour se rencontrer de nouveau, plus tôt que tard, espérons-le. »

Service et personnalisation

Pour sa part, le propriétaire de la Ferme Guyon à Chambly, Sébastien Dion, estime que les propriétaires de petites boutiques ayant pignon sur rue doivent se mettre à la page. « Pour ceux qui hésitent encore à proposer une plateforme virtuelle d’achat en ligne sur leur site Internet, si ce n’est pas encore fait, ils doivent le faire au cours des prochaines semaines… parce que le commerce en ligne est là pour rester. » Est-ce qu’il craint la disparition du commerce de proximité au profit de l’achat en ligne? À cette question, M. Dion répond que les commerçants doivent prioriser le service à la clientèle et la personnalisation. « Ils pourront toujours miser sur le service client et la personnalisation des rencontres ou des produits. Chaque entrepreneur a sa petite histoire; c’est la clé du succès! Avec l’achat en ligne, les grands joueurs, eux, ne prennent pas ce temps. »

Un constat que corrobore l’enseignante Sandrine Prom Tep lorsqu’elle nous dit que « la survie des commerces passe par ceux qui se sont mis à la page avec le e-commerce et les livraisons. Les pionniers en la matière auront un avantage sur les autres. Or, je trouve que les commerces québécois ont pris du temps à se placer en ligne ».

À la lumière de ces témoignages, les commerçants n’oseraient pas se passer d’une plateforme virtuelle, qu’ils ont appris à apprivoiser durant la pandémie, mais ils ne sont pas prêts à fermer la porte au retour des clients en magasin.