Une légalisation du cannabis incertaine

CHAMBLY. Alors que le projet de loi C-45 légalisant la consommation de cannabis entrera en vigueur le 17 octobre prochain, la Ville de Chambly a plutôt décidé d’en interdire la présence en public. Une décision qui ne fait toutefois pas l’unanimité.
Un texte de Félix Lacerte-Gauthier
« Malheureusement, je pense que les décisions d’interdire la consommation en public reposent beaucoup, même si ça peut sembler sévère, sur de l’ignorance », dénonce le professeur en psychoéducation à l’Université de Montréal et spécialiste en toxicomanie, Jean-Sébastien Fallu. Selon lui, les municipalités qui, à l’instar de Chambly, ont décidé d’en empêcher l’utilisation se basent davantage sur des craintes et croyances, plutôt que des données actuelles. « La démocratie fonctionne bien lorsque les gens sont informés, mais ce n’est pas vraiment le cas actuellement, se désole-t-il. Ça prend un leadership politique fort pour faire ce qui est la bonne chose. »
Le maire de Chambly, Denis Lavoie, affirme pour sa part avoir pris sa décision afin de maintenir l’harmonie au sein de la population de sa ville et d’apaiser les craintes de ses citoyens. « La plupart des villes au Québec sont en train de l’interdire. On a décidé de le faire pour la même raison que toutes les autres villes, justifie-t-il. On trouve inadmissible que les gens fument du pot dans les rues. »
À l’Institut national de Santé publique du Québec (INSPQ), le conseiller scientifique François Gagnon rappelle que l’Institut avait pris position en janvier pour demander que les municipalités ne puissent avoir le pouvoir de faire leur propre réglementation sur le sujet. « Je ne sais pas de quel type de données elles pourraient disposer pour justifier les interdictions, mais pour ce qui est de la santé, nous n’avions pas identifié d’enjeux particuliers, souligne-t-il. Selon nos analyses, il faut une grande concentration de fumée pour affecter la santé. En extérieur, on ne voit donc pas d’enjeux spécifiques liés à l’exposition à la fumée secondaire. »

« La plupart des villes au Québec sont en train de l’interdire. On a décidé de le faire pour la même raison que toutes les autres villes, justifie-t-il. On trouve inadmissible que les gens fument du pot dans les rues. » – Denis Lavoie

« On prend les mêmes données que le gouvernement du Canada a pris pour légaliser le cannabis : aucune », répond pour sa part le maire de Chambly. Il déplore par le fait même que le gouvernement fédéral ait conçu sa loi sans consulter les villes, qui sont à ses yeux les premières affectées par ce changement.
À la ville de Carignan, la directrice des communications de la municipalité, Hélène Magnan, affirme qu’aucune décision n’a encore été prise à ce sujet. « Les élus sont actuellement en réflexion. Ils auraient voulu se prononcer en octobre [avant l’adoption de la loi], mais finalement, ils n’étaient pas prêts. Le conseil devrait statuer lors de la séance du
7 novembre. »
Aucune décision n’a encore été prise non plus à Marieville, où les élus ont plutôt décidé de patienter. « On travaille actuellement à un projet de règlement qui sera par la suite soumis au conseil municipal qui prendra position sur le sujet », explique la responsable des communications de la ville, Marie-Ève Hébert. Celle-ci révèle en outre qu’aucune date n’a encore établie, mais que le tout devrait se faire dans les prochains mois.
Un règlement inapplicable
M. Fallu doute cependant que la réglementation municipale de Chambly ne soit vraiment applicable, alors que la consommation existe déjà malgré la prohibition. « C’est certains que les individus qui consomment du cannabis n’arrêteront pas parce qu’ils n’ont pas d’endroit où le faire légalement. C’est de la pensée magique que de supposer qu’ils ne consommeront pas parce que les règlements l’interdiront », illustre-t-il.
Résidant dans la région de Chambly depuis une quinzaine d’années, Pascal peut en témoigner, alors qu’il admet fumer une à deux fois par jour. « Ils ne sont même pas capables de l’interdire présentement, s’exclame-t-il. Pour moi, ça fait 20 ans que c’est tout comme si c’était légal. Je ne crois pas que les règlements changeront quoi que ce soit. » Pour lui, sa consommation personnelle ne dérange en rien l’ordre public, alors qu’il se contente de fumer tranquillement et à l’écart.
Pour M. Lavoie toutefois, le changement fera en sorte que la réglementation sera plus facilement applicable par les services de police. « Avant, l’illégalité était basée sur le Code criminel. Maintenant elle sera basée sur le statut réglementaire, explique-t-il. Dès qu’il y aura une constatation, les policiers pourront émettre un billet. »
Des citoyens plus affectés
Selon les deux experts consultés, malgré la légalisation du cannabis, l’interdiction de le consommer en public créera un paradoxe qui affectera surtout les personnes les plus vulnérables. Alors que les propriétaires de logements et syndicats de copropriétés peuvent interdire la fumée dans leur logement, de nombreux citoyens se retrouveront sans endroit où fumer. « Des personnes seront en possession d’une substance qu’ils auront achetée légalement, mais dont ils ne pourront faire usage nulle part », résume M. Gagnon.
Les réglementations interdisant la consommation de cannabis en public pourraient éventuellement être contestées devant les tribunaux, alors qu’une contradiction s’annonce entre la loi fédérale et les règlements municipaux. « Je pense qu’effectivement, il y a beaucoup d’arguments pour invalider ces règlements, constate M. Fallu. La justice n’aime pas que le droit ne soit pas le même pour tous et le domaine juridique est très sensible à la notion de préjudice. »