Les conséquences possibles de l’intervention de l'UPAC et de la mise sous tutelle de Chambly

Une professeure en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal explique l’impact de la mise sous tutelle de la Ville de Chambly ainsi que le processus d’intervention des agents de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).
Danielle Pilette indique que la mise sous tutelle représente une perte d’autorité pour le conseil et un ralentissement du rythme de travail. « Le conseil municipal reste en place, mais toutes les décisions devront être approuvées par la Commission municipale, dit-elle. Il y aura certainement une autocensure. » Elle compare cette situation à celle d’adolescents qui doivent rendre des comptes à leur parents.
L’enseignante ajoute que la tutelle est également un moyen pour la Commission municipale de garder une mainmise sur des éléments de preuves supplémentaires. Mme Pilette estime que la ministre des Affaires municipales a certainement trouvé un dysfonctionnement à l’interne pour émettre cette décision. La présence de l’UPAC a ajouté « un autre étage au gâteau », selon elle.
Elle rappelle également la destruction de la Maison Boileau. « Il a semblé y avoir confusion des genres entre le maire et le directeur général pour prendre la décision. » Elle ajoute les révélations entendues à l’émission Enquête, notamment sur le climat qui règne au conseil de ville ainsi que sur la relation du maire et d’une fonctionnaire. «Toutes ces raisons ont rendu la tutelle possible », croit-elle.
La Ville ou le maire pourraient contester la constitutionnalité du décret, mais c’est une « très grosse commande ». Quelques municipalités ont déjà été dans la même situation de tutelle, dont Laval en 2013. Le temps de tutelle n’est pas déterminé.

« Entre une perquisition de l’UPAC et des accusations criminelles, il y a un long parcours et beaucoup d’embûches » – Danielle Pilette

UPAC

Deux possibilités ont pu mener l’UPAC à perquisitionner. Il se peut que le ministère des Affaires municipales ait découvert des irrégularités et qu’il se pose des questions sur les motifs. Une commission d’enquête est en cours depuis la fin novembre. Sinon, il peut s’agir d’une dénonciation effectuée par une personne auprès d’un poste de police. « Ça peut être un témoin crédible, comme un ancien employé », mentionne l’enseignante.
Cependant, selon son expérience et ses connaissances, peu de perquisitions ont mené à des accusations criminelles. « Il est difficile de démontrer quoi que ce soit hors de tout doute s’il n’y a pas une dénonciation d’une personne impliquée directement. Des preuves indirectes ou circonstancielles, ce n’est pas suffisant pour porter des accusations », soutient-elle. Aucune arrestation n’a été effectuée durant l’intervention.
« Entre une perquisition de l’UPAC et des accusations criminelles, il y a un long parcours et beaucoup d’embûches », souligne Mme Pilette. Elle explique que le domaine municipal est très encadré par des lois et que ce n’est pas tout le monde qui peut en comprendre le fonctionnement, incluant les membres de l’UPAC.
En étapes, ils recueilleront des documents et les analyseront pour en sortir des faits qui seront ensuite interprétés par des spécialistes. « Souvent, il reste des zones grises afin de connaître l’intention derrière tout cela. A-t-on agi de bonne foi? Toute la question est là. De manière générale, simplement avec des documents recueillis, il y a difficilement matière à porter des accusations. » Le témoignage d’une personne impliquée dans le processus est important.
Elle évoque un principe de prudence afin de ne pas accuser à tort des personnes et ainsi ébranler tout le système municipal du Québec. « Beaucoup de personnes honnêtes s’impliquent dans le monde municipal.
Quand on porte des accusations, le procureur doit être sûr qu’il y a un problème. Il y a des effets dévastateurs lorsqu’on pose de fausses accusations », soutient-elle.
Cependant, une telle visite de l’UPAC laisse quand même ses traces, croit-elle. « Ça frappe l’imaginaire. Les gens peuvent croire qu’il y a anguille sous roche. Aucun citoyen n’aime que l’UPAC débarque dans sa municipalité », affirme-t-elle.

L’opposition réagit

Alexandra Labbé, conseillère de l’opposition, s’est réjouie de l’annonce de la mise sous tutelle de la Ville par le conseil des ministres. Elle estime que ça permettra aux citoyens d’obtenir des réponses. « Wow! C’est une bonne nouvelle! » s’est-elle exclamée lorsque le Journal le lui a appris.
Auparavant, elle s’était dite surprise de la visite de l’UPAC. « On est un peu surpris. On a eu beaucoup de demandes d’intervention. De ce qu’on témoignait, c’était en éthique et en déontologie qu’il y avait un problème. Avec l’UPAC, on parle de corruption. Je ne peux pas dire que j’ai été témoin ou que j’ai eu des témoignages en ce sens. »
De son côté, Mario Lambert, aussi conseiller de l’opposition, affirme ne pas être surpris parce qu’il trouve que « le maire n’est pas transparent et qu’il limite l’accès à l’information des citoyens ».
Le conseiller mentionne ne pas avoir été témoin de malversation de la part du maire. Par contre, il ajoute que lui et sa compagne sont tenus à l’écart des discussions des élus. « On est dans le noir total, mentionne-t-il. On ne fait partie d’aucun comité et on n’a aucune communication avec le maire. Il répond en moyenne à un courriel sur trois qu’on lui envoie. »
Les membres de l’opposition sont contents que la « situation de Chambly soit prise au sérieux ». « Il faut que la lumière soit faite sur ce qui se passe et que des mesures soient prises s’il y a des coupables. Le jeu en vaut la chandelle, qu’il y ait des accusations ou pas », soutient Mme Labbé.
La conseillère estime qu’ils ont peut-être contribué à ce dénouement. « On a toujours encouragé les gens à parler et à briser la charte du silence qui régnait à Chambly. Est-ce cette initiative qui a eu l’effet de dénonciation? J’aime croire qu’on a travaillé fort et que ça ait pu influencer. »