Le Guide alimentaire canadien sous la loupe d'une experte

Après des mois d’attente et d’incertitude, Santé Canada a dévoilé mardi la refonte de son Guide alimentaire. La professeure au Département de nutrition de l’Université de Montréal, Marie Marquis, en fait l’analyse pour le Journal.
Propos recueillis par Félix Lacerte-Gauthier

Journal : Pourrait-on connaître vos premières impressions sur le nouveau guide?

Marie Marquis : Une impression favorable et positive. L’approche est très différente des éditions antérieures; on voit des propositions qui touchent non seulement les aliments, mais aussi les comportements des mangeurs. Par exemple, où nous mangeons, avec qui et en quelle quantité. Ce sont des propos qui sont davantage d’ordre comportemental, ce qu’on n’avait pas l’habitude de voir dans le passé. C’est aussi positif dans la façon dont ça positionne la variété alimentaire. Le visuel est également très beau, en plus d’être utile, en montrant notamment la proportion des fruits et des légumes dans une assiette. Les gens qui ont participé à son élaboration n’ont pas tenu compte des études financées par les industries, ce qui amène plus d’objectivité dans les recommandations qui sont faites. C’est un aspect qui avait été très critiqué, à tort ou à raison, dans les éditions antérieures.

Est-ce une crainte que vous aviez par rapport au guide?

On suivait la démarche et on savait que le processus serait très rigoureux. Ils [Santé Canada] n’auraient pas prêté flanc à une telle critique en 2019.

Globalement, en êtes-vous satisfaite?

Tout à fait! C’est d’ailleurs un document que je vais m’approprier pour mes outils de vulgarisation et de communication.
Il y a plusieurs aspects qu’on introduisait déjà dans la vulgarisation scientifique dont, par exemple, l’importance de boire de l’eau. Jusqu’à présent, ce sont des messages que je n’aurais pas de problème à partager et à endosser.

Lorsque vous dites que vous allez vous l’approprier, je me demandais jusqu’à quel point le guide est un outil important pour vous.

Il est important parce qu’il donne des lignes directrices qui sont modernes. C’est aussi un outil qu’on enseigne. J’ai également vu qu’ils [les chercheurs de Santé Canada] allaient développer dans le courant de l’année 2019 des ressources complémentaires qui visent des cibles particulières, notamment les hôpitaux et les écoles, afin de les guider.

Vous en avez un peu parlé en début d’entrevue, mais pensez-vous que le changement de format aidera le guide à rejoindre son public?

Je pense que oui, surtout qu’au-delà du visuel, ils [les chercheurs de Santé Canada] ont tenu beaucoup de rencontres avec des consommateurs pour être certains que le visuel et les termes utilisés étaient compris. Par exemple, dans le passé, les mots modération et portions restaient nébuleux : il y avait autant de définitions que de mangeurs. Ils ont donc fait beaucoup d’effort pour que les notions soient bien comprises. C’est un effort qui mérite d’être souligné. Néanmoins, le Canada est complexe et il y a de multiples profils de consommateurs. Il faudra vérifier si tout le monde interprète le guide tel que c’est désiré.

Y a-t-il d’autres éléments que vous auriez voulu changer?

Spontanément, j’ai vu qu’on y met en évidence le rôle de la mère. J’aurais vraiment souhaité que les discours soient non genrés. Les discours plus contemporains en promotion de saines habitudes de vie misent beaucoup sur le partage des rôles à l’intérieur des ménages et sont aujourd’hui très vigilants là-dessus Par exemple, en 2019, il n’y a pas juste maman qui devrait faire la boîte à lunch! Il faut saisir toutes les occasions pour que les ménages comprennent qu’on va arriver à manger sainement si on a une division des rôles à l’intérieur des ménages. Je me suis dit que c’était une belle occasion ratée.

Je voulais revenir également sur la controverse qu’il y a eu concernant la place moins proéminente des produits laitiers.

Je pense qu’on en parle trop! C’est tout à fait correct que les produits laitiers soient maintenant dans la case des sources de protéines. C’est amusant, parce qu’on va continuer de consommer des produits laitiers, surtout quand on pense au yogourt et au fromage, qui restent de très bonnes sources de collation. La différence est qu’ils ne forment maintenant plus une catégorie distincte. C’était d’ailleurs souvent montré dans le passé comme étant un exemple où le gouvernement cédait à l’industrie.

Pour terminer, j’aimerais que vous me disiez en quelques mots ce qu’il faut en retenir.

Un outil moderne, qui aborde les aliments et comment les manger. Il y a de la science qui soutient tous les choix des groupes alimentaires et les catégories d’aliments, mais il y a aussi beaucoup de clins d’œil sociologiques sur nos comportements : avec qui, où et comment nous mangeons. Il y a une approche plus élargie de l’acte de manger.