Des poules et des hommes
La séance du conseil de la Ville de Carignan du 4 septembre a pris une odeur de basse-cour alors que plusieurs citoyens, veillant au grain, ont déclenché l’alarme au sujet d’un éleveur de poulets de chair destinés à la production industrielle qui viendra s’ancrer aux frontières de leurs résidences.
Implantés au 2607 chemin Bellerive, ce sont deux poulaillers contenant chacun 20 000 poulets que Danyel Phénix, président des Aliments Phénix, érigera. D’une largeur de 23 mètres, d’une profondeur de 120 mètres et d’une hauteur de 6 mètres, les deux bâtiments offriront un seul niveau de palier. Ils permettront à la volaille d’y cohabiter de 35 à 42 jours, soit le cycle de vie de l’animal, avant qu’elle ne termine son parcours dans l’assiette du consommateur.
Or, les citoyens du secteur appréhendent hautement ce débarquement inattendu et craignent pour leur quiétude. Ceux-ci, principalement situés sur le chemin Bellerive et la rue Bachand du District 2, lèvent le drapeau. Engorgement de la circulation dans un secteur qui vit déjà ses complexités à certaines heures, assèchement de la nappe phréatique et émanations pouvant mener entre autres à une dépréciation immobilière sont les points mentionnés par les résidents rassemblés au Journal le 10 septembre.
Permis légal
L’emplacement des poulaillers est en deçà de la norme minimale établie par la MRC et l’agronome, qui est de 170 mètres.
« La résidence la plus proche est à 266 mètres et il est hors zone du périmètre urbain établi à 450 mètres, explique le maire Patrick Marquès. C’est une zone agricole; l’entrepreneur est dans son droit de s’installer là », poursuit-il.
Inquiets, les citoyens disent : « Nous apprenons avec ce projet que l’élevage fait partie de la famille de l’agriculture. D’accord, il est dans son droit d’obtenir son permis, mais pourquoi se positionne-t-il à la limite de nos terrains? Pourquoi la Ville ne lui demande pas de s’éloigner des résidences? On ne peut pas l’en empêcher, mais svp, va t’installer plus loin sur ta terre. Il y a énormément d’espace. La Ville s’en lave les mains », disent à l’unisson les citoyens.
« Quand tu es installé dans une zone agricole, tu dois t’attendre à avoir ce type d’installation. »
– Patrick Marquès
Émanations
Plus de 40 000 êtres vivants rassemblés en un seul lieu, ça se remarque, ça laisse son empreinte de multiples façons, dont par le volume d’excréments que générera l’attroupement ailé. Les vents dominants se rabattant vers les résidences, le concept hypothétique d’émanations nauséabondes en continu en est un qui tourmente les citoyens.
« En théorie, si c’est une nouvelle construction, c’est une technologie moderne et dernier cri qu’utilisera l’éleveur, précise une association d’éleveurs qui préfère ne pas être nommée. Il y a ce que l’on appelle un récupérateur de chaleur et d’odeurs. Les poulaillers d’aujourd’hui ont évolué par rapport à ceux qui existaient il y a dix ans. »
« En ce qui a trait aux excréments, c’est un fumier sec, donc moins odorant. Il y a deux façons de traiter la chose. Soit l’éleveur exporte le fumier, soit il l’entrepose, habituellement dans un autre bâtiment, à l’abri des odeurs. Il y a des normes pour ça, c’est développé par des ingénieurs », complète l’association.
Aqueduc
Selon la ville, les besoins en eau des poulaillers correspondent à l’équivalent de vingt-cinq résidences. L’entreprise ne sera pas reliée au système d’aqueduc saturé de la ville, mais devra plutôt creuser un puits artésien qui s’abreuvera à même la nappe phréatique.
« Le puits de mon voisin sur la rue Beauchamp est tombé à sec dans les dernières années. On se questionne en ce qui a trait aux risques d’une telle utilisation des eaux. Ça va drainer le sol solidement, l’ajout de cette compagnie », exprime un des citoyens.
« C’est le ministère de l’Environnement qui donne l’autorisation. Un agronome prend les données et les transmet au ministère, qui donne ensuite son approbation ou non », avance Valérie Beauchamp, directrice du service de l’urbanisme de la Ville.
« Si le ministère de l’Environnement analyse que ce n’est pas dangereux de façon durable, il faut leur faire confiance un moment donné. De surcroît, ils sont hyper-restrictifs dans le secteur agricole, ce qui force les producteurs à se responsabiliser », renchérit l’association d’élevage.
Trafic
Carignan étant en développement, le réseau routier du territoire s’alourdit et le chemin Bellerive n’y échappe pas.
« Il va y avoir des entrées et des sorties de vans qui vont obstruer lors des heures de pointe. Et si ces camions viennent hors des heures de circulation contingentées, on va les entendre reculer, se remplir et se vider de nuit? », interrogent les citoyens.
Le maire répond : « Je n’ai pas discuté avec l’entrepreneur, car c’est un processus administratif. Peut-être qu’il aura des silos limitant les déplacements. Je ne connais pas la fréquence de ses allées et venues. Le mieux serait de demander directement à Danyel Phénix. » Initiative que le Journal de Chambly avait prise, sans retour aux divers messages déposés dans la boîte vocale de M. Phénix.
Transparence
« Nous ne considérons pas avoir été informés. La Ville manque de transparence », affirme le citoyen qui a appris l’arrivée de son nouveau voisinage à plumes par l’entremise d’un employé de Bell qui cherchait les lieux pour installer une ligne téléphonique au sein des futurs poulaillers.
« Carignan est zonée à 87 % agricole. Quand tu es installé dans une zone agricole, tu dois t’attendre à avoir ce type d’installation. S’il y avait problématique ou nuisance en cette cohabitation, la Municipalité interviendrait au mieux de ses compétences », conclut Patrick Marquès.