Des licornes et des bulles

Avec le retour en classe imminent, l’inquiétude se fait sentir chez certains quarts d’emplois du milieu scolaire qui ne se sentent pas inclus dans le plan de la rentrée du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge. C’est pacifiquement qu’ils l’ont dénoncé ce matin devant le bureau de comté du ministre à Chambly.

« Nous sommes inquiets. On fait face à une pénurie de surveillantes d’élèves, de préposées aux élèves handicapés, d’éducatrices en service de garde et de secrétaires d’école. Le manque de considération du ministre envers le personnel de soutien ne date pas d’hier. Pour le plan de réouverture des écoles, on les a carrément oubliés », déplore Jean-François Labonté, président du Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau (SEPB) 578.

Les manifestants estiment que le plan du ministre est incomplet et qu’il ne tient pas compte de la réalité du milieu, entre autres, celle des services de garde. Le ministre avait annoncé auparavant que les élèves d’un même groupe seraient toujours ensemble dans la même « bulle » afin de limiter la propagation éventuelle du virus.

« Les bulles du ministre Roberge ne tiennent plus la route dans les services de garde. Il est déjà difficile de conserver les ratios éducatrices-enfants, sans en plus les garder dans des bulles. Vers 16 h 30, quand on nous demande de couper une ou deux éducatrices parce qu’il y a moins d’enfants, comment voulez-vous que les élèves soient gardés dans des locaux différents », questionne Jean-François Labonté.

Anxiété collective

Les membres que représente le SEPB 578 n’entrevoient pas chaudement la rentrée scolaire dans le contexte qui les attend.

« Tous les jours nous recevons des centaines d’appels et de courriers électroniques de nos membres qui sont extrêmement inquiets. Le plan d’action du gouvernement suscite beaucoup de questions qui sont sans réponses. L’ensemble du personnel recommence demain et la rentrée est jeudi. On se demande comment nous allons faire », ajoute le président du SEPB 578 qui martèle sur la nécessité d’investir dans le personnel de soutien, personnel qu’il qualifie de « piliers dans les écoles ».

Licornes et bulles

Déguisés en licornes, les manifestants ont également reproduit de grandes bulles de savon qui, comme le veut leur destin, ont éclaté au sol, symbolisant la situation dans laquelle le personnel scolaire évolue.

« Nous pensons que le plan n’est pas réaliste. Nous sommes au pays des licornes. Les gens sur le terrain n’ont pas été consultés. Il y a un manque de considération et de reconnaissance envers le personnel. On croit qu’une rentrée progressive et qu’une bonification des conditions de travail font partie de la solution », termine M. Labonté.

De son coté, Pierrick Choinière-Lapointe, directeur exécutif du SEPB-Québec, n’est pas plus tendre à l’endroit de Jean-François Roberge et fait allusion également au mythique animal à corne. Par voie de communiqué, il écrit que « le ministre ne semble rien connaître à la réalité quotidienne de nos membres. Il est minuit moins une et le gouvernement caquiste semble vivre dans un monde de licornes et il semble vouloir improviser la suite des choses. Pour nos membres c’est inconcevable et inquiétant. »

Jean-François Roberge n’a pas été en mesure d’échanger avec les revendicateurs mais les attachées de presse du ministre sont allées à la rencontre de ceux-ci, engageant un échange qu’elles ont défini de « cordial, respectueux et dans un souci d’écoute face aux préoccupations ». Toutefois, M. Roberge a transmis ces lignes au Journal de Chambly.

« Le plan de la rentrée scolaire a été élaboré conjointement avec la santé publique, et très bien accueilli par l’ensemble des acteurs du réseau scolaire. Tout a été mis en place pour, d’une part, prévenir au maximum toute propagation potentielle du virus et, d’autre part, assurer une expérience éducative des plus enrichissantes à nos élèves. La collaboration de la santé publique nous a permis, au printemps dernier, de faire revenir en classe des centaines de milliers d’élèves, sans relancer la pandémie. Nous sommes confiants qu’en suivant leurs recommandations, nous pourrons faire de même cet automne. Nous comprenons que certains puissent avoir des inquiétudes, maintenant, il faut faire confiance à nos experts en santé publique. Nous demeurons en contact avec l’ensemble de nos partenaires afin de répondre à leurs questions et de nous assurer que tout est fin prêt pour la rentrée scolaire. »

Métier précaire

Jean-François Labonté soutient que 70 % de ses membres sont à statut précaire, c’est-à-dire qu’il travaillent à temps partiel, de façon temporaire, accompagnés de mise à pied durant la période estivale. Leur salaire moyen serait d’environ 21 000 $ annuellement. Être éducatrice en service de garde signifie de travailler à heures brisées et, parfois, au sein d’un poste dont le nombre d’heures hebdomadaires ne suffit pas pour permettre de vivre avec un salaire décent.

« Il faut que le ministre augmente les heures et améliore les conditions de travail drastiquement pour conserver le personnel. J’ai 35 ans et je suis le plus jeune éducateur à mon service de garde, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de relève. Dans le milieu, il est difficile d’avoir du 35 heures. Même si tu as un poste de 15 heures par semaine, soit 3 heures par jour, tu dois être disponible 11 heures dans ta journée. Ça devient donc impossible de se trouver un autre emploi pour survivre. On nous maintient dans la pauvreté et on nous demande de faire des miracles année après année », crie du coeur un éducateur sur place qui souhaite voir le réseau pour lequel il travaille se bonifier.