Des Autochtones et des Blancs
Le décès, dans de scabreuses circonstances, de Joyce Echaquan, femme atikamekw, a soulevé à nouveau la fragilité des relations entre les peuples des Premières Nations et l’Homme blanc. Michel Jean porte dans son ADN une histoire culturelle qui demeure étrangère pour bon nombre de Québécois.
Elles parlent de la même eau, des mêmes sols, des mêmes forêts. Pourtant, l’impression de distanciation, d’incompréhension entre ces deux cultures qui cohabitent, soit celles des Autochtones et des Québécois, semble persister au gré du temps. Le Journal de Chambly s’est entretenu avec l’auteur mathiassois Michel Jean, qui a tissé l’histoire des Autochtones dans bon nombre de ses romans.
En quoi vos racines sont-elles liées aux Autochtones?
Ma grand-mère est une Innue de Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean […] quant à mon grand-père, il était moitié Blanc, moitié Innu, mais n’avait pas le statut autochtone, expliquant que je n’ai pas grandi sur la réserve.
Comment ces racines ont-elles influencé votre vie familiale?
Nous n’avons pas été élevés dans la communauté. Donc, je n’ai pas grandi à Mashteuiatsh. J’ai toujours été très attaché au côté autochtone de la famille. Ma mère et ma grand-mère, ayant vécu à Alma, représentaient la seule famille autochtone en ville. Ce n’était pas toujours facile. Elles n’étaient donc pas enclines à en parler beaucoup, mais moi, j’avais beaucoup de questions, d’intérêt. C’est vraiment à la mort de ma grand-mère, depuis une quinzaine d’années, que je me suis rapproché du côté autochtone de la famille […] à ses funérailles, il y a eu une dernière prière qui se fait sous forme de chant très émouvant. La cousine de ma grand-mère, que je voyais pour la toute première fois, m’a dit ‘’ Il faut que je te dise quelque chose d’important. Toi, Michel, l’Indien, tu l’as en toi. Je vois les gens à ton travail en situation où ils s’énervent autour de toi. Toi, tu es toujours calme’’. J’ai constaté que j’étais comme ça. J’ai toujours cru que c’était un trait de caractère. Elle m’a nuancé que c’était un trait culturel. J’ai ensuite amorcé la réflexion sur la part d’Innu qui est restée en moi, malgré le fait que j’aie été élevé dans un milieu non autochtone.
Comment ces racines ont-elles influencé votre jeunesse?
J’étais conscient que, sans vivre sur la communauté, nous étions Autochtones. J’en voyais peu autour de moi. La représentation que l’on en avait en général était rarement positive. On regardait les films de cow-boys et les Indiens n’étaient pas souvent ‘’les bons’’ dans les films. Il n’y avait pas vraiment de représentation positive de la culture autochtone. En deuxième année, j’allais à l’école Saint-Gabriel-Lalemant. Lors d’une pièce de théâtre sur son histoire, je jouais le rôle du guerrier mohawk qui tuait Saint-Gabriel-Lalemant devant les élèves et les professeurs de l’école. J’ai grandi dans ce genre d’environnement.
Quel est votre rapport à la culture autochtone?
Qui on est, comment on se sent, c’est dur de dire d’où tout ça vient. Je me sens Québécois mais une partie de moi est Autochtone. Je suis attaché à cette portion d’histoire de ma famille. Aujourd’hui, être Autochtone, ça veut aussi dire vivre en ville, pas juste dans les communautés. Ça fait juste que tu as une sensibilité liée à des traits culturels, des backgrounds qui existent. C’est une question d’identité, de qui tu as l’impression d’être.
En 2020, quel est le rapport des Québécois envers les Autochtones?
Je pense que la situation a beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années. Quand j’ai commencé comme journaliste, j’entendais régulièrement ‘’Les histoires d’Indiens, ça n’intéresse personne’’. Maintenant, ça a changé. Les gens sont plus sensibles aux questions des droits des Autochtones. La notion de racisme à l’endroit des communautés commencent à être vue et reconnue. La vidéo de Joyce Echaquan, notamment, a éveillé et ouvert des esprits sur ce que vivent encore de nombreux Autochtones aujourd’hui. Je le vois aussi avec mes livres. Les vingtenaires et les trentenaires ont un fort intérêt pour ces enjeux. C’est porteur d’espoir. Ça force un débat sur l’intégration, sur l’ouverture et sur l’acceptation.
Voyez-vous le jour où il n’y aura plus de frontières entre les deux réalités?
On entend des gens dire ‘’Si tout le monde vit de la même manière, ça va être réglé’’, mais ce n’est pas aussi simple. Les Autochtones ont une vision du territoire, de la vie qui n’est pas nécessairement la même que celle des Blancs, et ils ne veulent pas nécessairement être intégrés à 100 %. Les Autochtones ont encore des droits sur ce qu’étaient leurs territoires ancestraux, et c’est reconnu par les Nations Unies et la Communauté internationale. On peut faire comme si cela n’existait pas, mais ça ne règle pas le problème. Je pense que, pour les Autochtones, il faudra un jour que ces questions se règlent, et tant que ce ne sera pas réglé, le problème perdurera. Dans quelles mesures les gens sont prêts à accepter ça? Ça reste à voir. On vit tous ensemble déjà, maintenant, et si l’on veut régler, il faudra aborder ces questions.
Est-ce que les Québécois comprennent la réalité des peuples autochtones?
Pas encore complètement, je pense, mais ça va venir. Je suis optimiste quand je vois comment sont les choses maintenant. Il y a encore des communautés où il n’y a pas d’eau courante au Québec. Les mentalités, c’est long à changer. Vais-je le voir de mon vivant? Pas certain.
Ian Lafrenière, ex-policier, a été nommé ministre des Affaires autochtones. Les relations sont tendues entre policiers et Autochtones en raison, entre autres, d’actions posées par des policiers sur des femmes autochtones. Que pensez-vous de cette nomination?
Je n’ai pas d‘opinion précise sur ça. Par contre, Ian Lafrenière a un mandat important. À la conférence de presse avec les chefs atikamekws, Ghislain Picard et FrançoisLegault, j’ai entendu M. Picard accueillir cette nomination avec ouverture. Les Autochtones sont ouverts à la discussion. Le fardeau est maintenant sur les épaules de Ian Lafrenière à faire avancer la situation.
Est-ce qu’il y a au Québec du racisme systémique envers les Autochtones?
Les Autochtones considèrent que oui. Cette question est devenue une sorte d’expression politique. J’attire ton attention sur le rapport du SPVM à la suite d’une étude. Quand tu es Arabe, Autochtone ou Noir, tu as cinq ou six fois plus de chances de te faire interpeller par les policiers que si tu es Blanc. Ça ne veut pas dire que les policiers eux-mêmes sont racistes. Ça veut dire qu’ils ont un préjugé, parfois, où ils vont juger différemment les gens en situation selon leur couleur. Le SPVM reconnaît que c’en est, ça, du racisme systémique. Les gens confondent racisme systémique et racisme systématique. Ils ont l’impression que si l’on dit que ça existe, que tous les Québécois sont racistes. Peut-être que c’est le mot systémique qui n’est pas le bon.