Accrocher ses ciseaux après 60 ans

Après 60 ans à tailler des barbes et à couper des cheveux, Jean-Guy Senécal accroche sa paire de ciseaux.

Le Mathiassois soufflera 80 bougies le 13 août prochain. Des milliers de têtes ont passé sous sa lame. Jean-Luc Senécal a appris le métier à l’École des métiers commerciaux. Après avoir obtenu son diplôme, il a démarré au barber shop du père d’un ami. Ayant œuvré 14 ans à titre de barbier dans l’Est de Montréal, il a déménagé ses pénates à Saint-Mathias-sur-Richelieu, y dirigeant son salon pendant les 46 années suivantes. « C’est à cause de mon beau-père. Il m’achalait pour que je m’en vienne ici. Ma mère m’a ramassé une chaise de barbier, qu’elle a entreposée dans son cabanon. Un jour, la maison à côté de chez eux est devenue en vente. Je suis venu voir juste pour dire. C’était pas regardable. Puis, au sous-sol, il y avait une porte menant vers dehors. J’ai pensé à un salon de barbier. C’est la maudite porte qui m’a fait acheter! », se remémore le barbier dont la clientèle s’étale parfois sur trois générations.

Couper l’oreille

Plus de 60 années de métier ne mentent pas : il faut maintenir un rendement de qualité pour perdurer si longtemps. Cependant, il est pratiquement impossible d’être infaillible sur de si nombreuses décennies. « J’ai coupé une oreille; ça m’est arrivé, mais le bon Dieu était avec moi. Habituellement, une oreille, ça saigne extrêmement. Lui, il n’a pas saigné pantoute. Ça aurait pu virer au drame. C’est sûr, je l’ai perdu comme client, mais dans chaque métier, il y a des erreurs qui se font », convient, sourire en coin, l’homme expérimenté.

« Une coupe de cheveux coûtait 75 cents la semaine et 90 cents la fin de semaine. » – Jean-Guy Senécal

Trimer des cils

Sur une lancée, celui qui sera octogénaire sous peu poursuit avec une anecdote qui l’amuse. « Les vieux ont les sourcils qui poussent et je les trime. Un vieux client m’avait demandé de lui trimer les cils. Je lui ai demandé s’il était sûr que c’était bien les cils plutôt que les sourcils. Orgueilleux comme il était, il a maintenu que c’était bien les cils. Je lui ai donc trimé délicatement les cils. Sa femme n’a pas dû le reconnaître à la maison », ajoute-t-il en riant.

C’est la faute aux Beatles

Il a fructueusement préservé le capillaire et la pilosité faciale de ses clients jusqu’à ce qu’un certain groupe se nommant les Beatles ne vienne troubler les mœurs. « Quand les Beatles ont passé au Ed Sullivan Show, on a eu une mauvaise période en ville. Ils avaient les cheveux longs et on trouvait ça épouvantable. Tout le monde s’est mis à se laisser pousser les cheveux. Des cheveux longs, comment tu coupes ça? On a donc dû suivre un cours pour apprendre à couper des cheveux longs, apprendre à les entretenir. C’est ça qui a sauvé le salon à l’époque », raconte l’homme qui a dû se réinventer, phrase émise plus souvent qu’à son tour pendant la pandémie.

Le barbier termine avec un saut dans le temps pour parler d’argent. Il rappelle que quand il a commencé, « une coupe de cheveux coûtait 75 cents la semaine et 90 cents la fin de semaine ».
Le 28 août, ce sera la dernière journée de travail de Jean-Luc Senécal. Le salon sera à louer à partir du mois de septembre. Celui qui pensait « mourir derrière sa chaise » accueille cette nouvelle vie qui l’attend avec calme et sérénité.