Marieville : producteur de grillons, une « drôle de bibitte »
C’est en phase avec ses valeurs que Benoît Hébert fait croître sa compagnie marievilloise dont la production frappe l’imaginaire, soit l’élevage de grillons.
Le journal s’est invité chez Alimentomo, à travers plusieurs millions de grillons. Sur place, l’image est loin d’être celle s’approchant du cliché de films à sensations où des masses volumineuses d’insectes grouillants dominent l’espace. Structuré, ordonné, cloisonné, l’insecte se promène librement dans son univers défini.
Dans le milieu agricole, le fondateur Benoît Hébert en convient, il est une « drôle de bibitte ». Il compare avec d’autres espèces du monde animal. « On utilise le même genre de ressources, de l’eau, de la moulée. Ça produit du fumier. On produit de la nourriture, même si ce n’est pas un steak. C’est la même chose, mais à une échelle différente », relativise-t-il. Comme tout bon agriculteur, il reçoit les inspections ponctuelles du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. Les niveaux d’hygiène et de salubrité sont vérifiés, à juste titre.
Projet en éclosion
Le projet a officiellement démarré en 2019 à Marieville. Dans la tête du fondateur, il germait toutefois depuis bien avant cette date. « Je me cherchais un projet porteur, qui avait plus de sens quant à mes valeurs personnelles », situe-il. Il avait eu des offres pour participer à d’autres projets qui impliquaient notamment la fabrication d’objets. « Moi, je trouve que la planète, elle a trop d’objets. »
Le bachelier en administration s’est plutôt tourné vers des enjeux touchant l’alimentation et l’environnement. Il s’est souvenu de son mariage au Cambodge et des vendeurs d’insectes qui amassaient leur marchandise dans de grands culs de poule, sur les coins de rue. « Le monde prenait ça comme des sucreries, comme des jujubes ici », image-t-il. Sa curiosité avait alors été piquée. L’idée a fait son petit bonhomme de chemin, si bien qu’aujourd’hui, il vend 100 % des grillons qu’il produit.
Capitalisme sauvage
Au moment de démarrer, Benoît Hébert était en mesure de subvenir financièrement à sa vie sans faire de profits rapidement. « Je ne suis pas un capitaliste sauvage. C’est un projet à long terme », convient-il. Son plan d’affaires lui a permis cette patience, à son rythme.
Au fil du temps, le « patenteux » a adapté et ajusté ses installations, et développé son savoir-faire lui permettant de s’implanter. Sa clientèle peut être des entreprises qui conçoivent des produits riches en protéines, que procure la poudre de grillons. Des particuliers lèvent aussi la main et intègrent ces infimes parcelles d’insectes à leurs habitudes alimentaires. Des grillons vivants sont aussi vendus pour l’alimentation animale. Les grossistes lui en achètent pour fournir les animaleries qui en ont fortement besoin, concernant entre autres les reptiles. Chaque semaine, ce sont plusieurs centaines de milliers d’individus qui quittent la grande colonie.
Nid d’amour
Ici, le cycle du grillon est d’environ 45 jours. À l’abri des prédateurs, ces insectes vivent dans des conditions « idéales » calculées au quart de tour. « C’est le paradis des grillons », définit M. Hébert. Divisés en lot du même âge, ils arrivent à maturité au même moment. Ils se trouvent et s’accouplent. Benoît Hébert doit alors intervenir. Il dépose sur des plateaux une couche de substrat, matière pouvant inclure des éléments organiques, minéraux et des matériaux d’origine végétale ou animale, qui sera un lieu propice à la ponte. Chaque femelle pond des centaines d’œufs.
La nourriture de demain
L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture soutient que les insectes sont l’une des voix de l’avenir pour l’alimentation mondiale. L’idée d’introduire la protéine d’insecte dans sa routine alimentaire n’est pas naturelle en Occident. « C’est un marché en émergence, mais ça reste un challenge. C’est un marché de moins en moins étrange. Les gens sont de plus en plus curieux et ouverts à la différence. Il y a quelque chose de culturel. Les gens ont quand même l’image de l’insecte quand ils mangent », observe Benoît Hébert. Il rappelle avec délicatesse qu’il ne force personne. L’éleveur soutient qu’il ne propose qu’une option supplémentaire parmi la vaste étendue de l’offre.