Yves-François Blanchet : « Une quatrième génération de souverainistes s’annonce »

Yves-François Blanchet, député de Beloeil – Chambly, revient sur l’année 2022. Les élections provinciales, les polémiques sur les armes à feu, le travail à 14 ans ou encore la francisation… Le chef du Bloc Québécois se livre sans retenue.

Monsieur Blanchet, comment analysez-vous le résultat des élections provinciales de cet automne ?

Le Parti Québécois a pratiquement doublé le score auquel on s’attendait (14,67 %, NDLR). Il s’est aussi assuré un bon financement garanti pour les quatre prochaines années. L’autre victoire est d’avoir su restaurer l’image du parti tout en rajeunissant l’âge moyen des candidats. D’ailleurs, certains se sont faits remarquer et amorcent une belle carrière politique. Au point que je serais intéressé de les prendre avec moi à l’avenir. C’est une quatrième génération de souverainistes qui s’annonce. Au final, je suis plutôt content du résultat de l’élection même si j’aurai aimé plus que trois élus. Les Libéraux en comptent 21 alors que nous avons un meilleur score. Le vote PQ est dilué à travers la province à part à Montréal et Québec où il est moins fort. Mais il reste le parti d’opposition provincial bénéficiant du plus fort potentiel de croissance. Le plus dur défi est de transformer cette sympathie en crédibilité pour devenir une alternative au gouvernement.

Le système de vote au Québec justement a été remis en question. Qu’en pensez-vous ?

Mon rayon d’action est à Ottawa donc je parle du Fédéral. À Ottawa, comme à peu près partout, on peut remplacer le système actuel britannique. Chaque député est élu et en charge de sa circonscription mais on ne peut pas nier que des éléments de proportionnelle, comme l’avait promis Justin Trudeau en 2015, rendraient la démocratie plus représentative de la volonté populaire.

Les relations entre Québec et le Fédéral sont plutôt tendues en ce moment. Pourquoi ?

Plusieurs torchons brûlent. Ce sont des conflits intrinsèques. C’est ce que le Canada est versus ce que le Québec est. C’est cette bonne vieille volonté de Justin Trudeau de réduire le Québec et les autres provinces à l’état d’obéissance face à un Canada national fort. Mais ce n’est pas du tout le cas dans la réalité. On dispose d’enjeux comme le français, la laïcité… Tout ce qui fait que le Québec est national. Le rêve de Justin Trudeau est que la nation québécoise devienne un élément folklorique à l’intérieur d’un Canada post-national où n’importe quelle minorité religieuse soit aussi importante que l’entièreté de la nation québécoise ou des huit millions de personnes parlant français.

Que pensez-vous du projet de la CAQ qui vise une immigration 100 % francophone au Québec ?

Cela a d’ailleurs été corrigé en franco trope, ce qui rassemble le français et tout ce qui lui est proche. C’est une juridiction fédérale. C’est un idéal. Les pays francophones d’Afrique proposent la croissance démographique la plus rapide au monde. Il y existe un bassin d’immigration que le Fédéral discrimine en refusant aux étudiants africains francophones des visas d’études au Québec. Je suis globalement d’accord avec cela mais je reste encore ouvert à une immigration non-francophone selon nos capacités à les intégrer. Justin Trudeau parle de 112 000 immigrants en ajoutant 50 000 demandeurs d’asile sans critère de français. En ce moment, à peu près la moitié de ces personnes ne parlent pas français. Le Québec n’a pas les moyens d’offrir un système de santé, d’éducation, de services de garde, de francisation, des emplois et de logements à 150 000 nouvelles personnes par année et encore moins si la moitié d’entre elles ne parlent pas français. C’est une demande déraisonnable avec pour effet, soit de ne pas les prendre et le Québec perdra de son poids à l’intérieur de la Fédération, soit de les prendre et cela réduira gravement l’influence du français au Québec. C’est calculé et voulu par le gouvernement de Justin Trudeau pour mettre le Québec au pas.

Pensez-vous que la CAQ et Justin Trudeau marchent main dans la main sur ce sujet ?

Non, je suis convaincu du nationalisme sincère de la CAQ mais malheureusement elle se prive du levier que représente l’indépendance. En refusant de considérer la souveraineté du Québec, elle permet au Fédéral de dire ‘non’ aux exigences du Québec. Il y aura un moment fort pour le gouvernement du Québec à l’approche des élections fédérales puisque grâce à la popularité du gouvernement de monsieur Legault, Justin Trudeau sera forcé de prêter l’oreille aux demandes de Québec. Si la popularité du gouvernement québécois fléchissait avec une élection fédérale, ce serait inquiétant. Je pense que si Justin Trudeau voit une majorité pour les libéraux, il déclenchera une élection. Il pourrait le faire entre l’automne 2023 et l’automne 2024.

Quelles seraient les enjeux de cette élection ?

Ce serait une élection sur le dos du Québec avec le refus des demandes en santé. Pourtant, ce sont des demandes servant à soigner du vrai monde. C’est plus rapide de financer les soins actuels que de vouloir construire un système de toutes pièces. Ça nuit aux gens qui attendent une chirurgie ou aux urgences. On vit aussi une énorme crise de santé mentale. Je connais beaucoup de jeunes qui sont coincés entre les jeux vidéos et les anti-dépresseurs à 16 ans. Ils n’arrivent pas à rencontrer des psychiatres. Je trouve cela épouvantable. L’entente historique devait assurer que le Fédéral finance 50 % des dépenses de système de santé des provinces. Mais il refuse de tenir sa parole et préfère créer un système fédéral de contrôle sur les provinces. Expliquez-moi comment le Fédéral peut mieux gérer la Santé que les provinces ? Il existe une prétention qu’Ottawa est supérieur aux Québécois. Et on se le fait dire tous les jours. C’est une insulte à l’ensemble des Québécois. Et on s’habitue, comme si c’était normal.

Selon vous, le sentiment patriotique québécois est en augmentation ou en diminution ?

Normalement, je dirai qu’elle est en augmentation. Mais la principale arme qu’utilisent les Anglophones est la culpabilité. Lorsqu’on veut faire que le français soit la langue commune, c’est comme si on faisait mal à l’anglais. Pourtant, nous sommes une nation française et reconnue. Et quelque chose a été ajoutée : si tu fais partie d’une majorité quelconque, qu’elle soit linguistique, culturelle, religieuse, sexuelle ou autre, tout ça fait de toi un coupable. C’est une espèce de dictature de la minorité. Le gouvernement Trudeau joue cette carte au maximum. Sans équivoque, je suis en faveur du droit des minorités mais à l’intérieur des institutions.

Quel est votre regard sur les actions du gouvernement Trudeau sur la pénurie de main-d’oeuvre ?

Il ne le fait pas de la bonne manière. Il existe des solutions comme encourager le retour des aînés sur le marché du travail par des mesures fiscales ou encore l’immigration à condition d’intégrer ces gens-là. Mais Justin Trudeau est allé jusqu’à dire que le chemin Roxham était une solution à la pénurie de main d’oeuvre. Mais il faut travailler sur la francisation, l’installation en région ou encore la reconnaissance des diplômes. Il faut revoir aussi la rapidité du traitement des dossiers. On a encore vu récemment après la crise des passeports, la crise des visa, la crise du chemin Roxham qui n’en finit plus… Ce sont 60 000 personnes qui attendent si elles pourront faire leur vie au Québec. Ces dossiers ont été données à des gens qui n’existent même plus dans le programme informatique. Donc personne s’en occupait. Tu ne peux pas faire plus ridicule que ça.

Autre solution contre la pénurie de main-d’oeuvre, le travail à 14 ans. Êtes-vous d’accord?

À la condition de ne pas minimiser les chances pour les jeunes d’obtenir un diplôme. Il faut respecter cette possibilité car si l’économie retombe, ces jeunes seront en détresse plus tard. Il faut leur permettre de viser un travail de meilleur niveau ou de haut niveau plus tard. J’étais député à Drummondville. Par le biais de la Chambre de commerces, les entreprises refusaient d’embaucher un jeune qui n’avait pas compléter son Secondaire 5. On pourrait par contre accélérer les dossiers d’immigration d’étrangers, dont les étudiants. Si un de ces derniers vient faire une formation au Québec, il enrichit d’abord un système qui en a bien besoin et il devient à la fin complètement francisé. S’il retourne dans son pays par la suite, ce serait un extraordinaire ambassadeur pour le Québec ou bien s’il reste, ce serait une extraordinaire immigration. Mais actuellement, on refuse 75% des demandes de visas d’étudiants africains.

Quels sont vos projets à court terme pour 2023 ?

Je veux avant tout donner une suite au dossier sur la Santé. Affecter la santé des gens par des retards, c’est mettre en danger la vie de ces gens. Je trouve cela épouvantable de faire de la politique en prenant en otage ces vies. 2023 sera marqué aussi par les enjeux d’immigration. Le Québec doit affirmer qu’il est la société d’accueil la plus généreuse en Amérique. Je serai de ce combat là. Le filet social est formidable. Un migrant pourra profiter du système de santé, d’éducation, du service de garde… Ce qu’on demande en échange, et c’est bien légitime pour une nation de 8 millions de personnes, est d’apprendre la langue commune qui est le français. La richesse culturelle sera profitable seulement si nous avons des points de rencontre. D’ailleurs, la nation québécoise est déjà très métissée.

Que préconisez-vous pour que le français soit plus utilisé ?

C’est la fierté. On a le droit d’utiliser un cadre réglementaire et législatif pour utiliser le français. Mais ce sera toujours moins efficace que de promouvoir la langue. Comme si les Francophones admettaient que la langue des autres est supérieure. Elle est au même niveau que les autres. La langue de tribu autochtone est extraordinaire, tout comme le français, l’anglais ou l’italien.

Y a-t-il un autre enjeu que vous souhaiteriez aborder pour 2023 ?

Les enjeux environnementaux sont primordiaux. Le Québec a cette capacité de créer un modèle économique différent à celui du Canada où la création de richesses se fait de façon compatible avec les enjeux d’environnements. Le Canada est un pays pétrolier. L’économie  canadienne s’appuie sur l’exploitation des hydrocarbures dans l’Ouest Canadien jusqu’à l’Atlantique Nord. Le Québec ne veut pas utiliser ces ressources-là. Sa forêt possède un potentiel énergétique extraordinaire. Il faut arrêter d’opposer l’environnement à l’économie. Quand le gouvernement se targue de lutter pour la biodiversité et qu’il ouvre cinq territoires à l’exploitation pétrolière en mer, qui sont des zones où survivent 340 baleines noires, une espèce en voie d’extinction, c’est du pipeau. Le gouvernement fédéral est l’un des pires joueurs environnementaux. À chaque bon geste, il ne réussit pas à effacer l’effet du mauvais geste de soutien au pétrole. Je pense qu’il faut sortir du pétrole pour aller vers l’électricité.

Êtes-vous d’accord avec les chasseurs concernant le projet de loi sur les armes à feu ?

Absolument ! Je ne comprends pas qu’on mette en péril une activité de loisirs. Le gouvernement semble incapable de donner une définition distinguant les armes d’assaut, qui doivent être irrévocablement bannies, des armes de chasse. 

Quel est votre souhait pour 2023 ?

Mon intention est d’essayer encore d’instaurer un ton ou une attitude au Parlement qui soit plus respectueux l’intelligence des gens. Ça va de demander calmement au gouvernement de répondre aux questions qu’on lui pose car il ne répond jamais aux questions. Ça passe aussi d’éviter la tentation de la petite phrase assassine la plus cinglante. Exiger par l’exemple de respecter l’intelligence des électeurs et des collègues.