Médecin d'une clinique du territoire

Montérégie : solutions afin de voir plus de patients

La Dre Isabelle Larouche-Faucher, qui travaille dans une clinique desservant notamment Chambly, Carignan et Marieville, propose des solutions qui permettraient de voir plus de patients.

La Dre Larouche-Faucher cible des façons d’améliorer le rendement. « Je vois beaucoup de patients qui n’auraient pas eu besoin d’un médecin », observe-t-elle. Elle parle tout d’abord de « faire de l’enseignement » auprès de la population. « C’est quand que l’on consulte, c’est quand que l’on ne consulte pas », nomme-t-elle.

Elle nous fait part que l’ajout, à l’accueil de la clinique, d’une infirmière auxiliaire ou clinicienne dédiée au triage serait un grand pas. « Si l’on avait ce tri, plusieurs patients par jour ne débarqueraient pas dans notre bureau. Mais on n’a pas les moyens de se payer ça », indique toutefois la docteure. Elle insiste sur le fait que cette pratique permettrait de libérer des plages horaires. 

Outre la population, elle soutient qu’il serait favorable que des organisations comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ou la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) bénéficient de « l’enseignement ». Elle raconte l’exemple « banal » d’une patiente qui s’est rendue à l’urgence en raison d’une coupure au bout de l’index due à une feuille de papier. Son employeur a exigé une consultation afin d’obtenir une attestation médicale, étant donné qu’il s’agissait d’un accident de travail. De l’urgence, elle a été réorientée au sans-rendez-vous à la clinique. « J’ai vu la patiente le lendemain avec son papercut guéri. Je lui ai fait son papier, mais c’est absurde, comme situation », estime la praticienne. Elle renchérit, affirmant qu’elle reçoit aussi des rendez-vous de patients qui ont besoin d’un papier pour le physio à des fins d’assurance. « Tu pourrais laisser un message à ma secrétaire et je te l’aurais fait, le papier. Pas besoin de venir dans mon bureau. »

Centraliser les dossiers

Dre Larouche-Faucher mentionne que la centralisation des dossiers permettrait de gagner du temps précieux. « Je perds beaucoup de temps quand je vois un patient qui sort de l’hôpital à essayer d’avoir ses documents, ses résultats. Si je pouvais avoir accès à ses examens antérieurs, tests ou notes d’autres médecins, j’économiserais un temps fou », considère-t-elle.

Manque de professionnels

Elle souhaiterait pouvoir miser davantage sur l’accès à d’autres professionnels de la santé. « Une grosse partie du problème, c’est que je vois et revois des patients qui auraient besoin d’un psychologue, d’un physio, d’une travailleuse sociale, d’une nutritionniste, etc. Je les revois, car ils n’ont pas les sous pour ou parce que le temps d’attente pour l’accès est élevé. Il n’y en a pas assez pour la demande », remarque Mme Larouche-Faucher. Elle soulève aussi le manque de médecins en première ligne. « Il existe des solutions pour que nous voyions plus de patients. Pas nécessairement plus de patients dans une journée, mais plus de patients qui ont vraiment besoin du médecin de famille en tant que tel. »

« Je vois beaucoup de patients qui n’auraient pas eu besoin d’un médecin. » – Isabelle Larouche-Faucher

Journée type du médecin

Dre Isabelle Larouche-Faucher précise avant tout que ce qu’elle décrit la concerne et qu’elle parle en son nom. Elle travaille cinq journées par semaine. De 8 h 30 à 9 h, elle débute en triant afin de voir s’il y a des urgences. De 9 h à 12 h, elle voit des patients. Elle précise dîner jusqu’à 13 h, devant son ordinateur, en lisant ses courriels, en gérant et en répondant à des messages et en effectuant des retours d’appels. Selon la journée, elle voit des patients jusqu’à 15 ou 16 h. Ensuite, elle passe de 30 à 60 minutes à faire de la gestion de laboratoire.

La professionnelle quitte la clinique habituellement vers 16 h 30 pour aller chercher ses enfants. « Une fois qu’ils sont couchés, j’ouvre mon ordinateur et j’en ai pour de deux à trois heures de travail », affirme-t-elle. Elle rappelle devoir consulter son ordinateur les fins de semaine. Elle chiffre que pour une journée de sept heures auprès des patients, elle consacre environ trois heures sans ceux-ci. Hors du temps » patients », elle assiste à des réunions sur son temps personnel. 

Projet de loi qui écorche

Christian Dubé, ministre de la Santé, a déposé le projet de loi no 106, qui vise « à instaurer la responsabilité collective et l’imputabilité des médecins quant à l’amélioration de l’accès aux services médicaux ». « On veut que les médecins voient et prennent en charge plus de patients. J’ai beau regarder mon horaire dans tous les sens, je vais les placer où?, questionne le médecin. Je comprends que le système de santé est loin d’être parfait et qu’il faut faire quelque chose, mais ce n’est pas en forçant les médecins qui restent à commencer à faire du 7 h à 21 h », estime-t-elle.

Depuis les négociations entre Québec et les médecins spécialistes, de même que les omnipraticiens pour renouveler les ententes, elle souligne que des médecins ont quitté le navire. Elle relève que des homologues se questionnent quant à leur avenir dans ce système. « Que le projet de loi passe ou pas, l’impact est déjà là. Les répercussions remarquées se situent sur le plan mental. Je ne peux pas dire que je vais en sortir intacte. Je ne suis pas la même personne qu’il y a un mois », estime la principale intéressée.

De son côté, le Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre rapporte qu’il ne commente pas les négociations entre les deux parties.

Guérir le médecin

Isabelle Larouche-Faucher met de l’avant les enjeux de santé mentale qui touchent les médecins. Ce sont des médecins volontaires qui s’occupent de leurs pairs pour leur venir en aide à ce sujet. « C’est mal perçu dans la profession. Tu ne peux pas être malade, manquer une journée ou aller mal. Si j’ai une gastro, le lendemain matin, je rentre. C’est pas deux jours à la maison à récupérer », fait-elle savoir, ajoutant que si elle ne travaille pas auprès de ses patients, elle devra les voir autrement ou qu’un collègue s’en chargera. 

« Plus qu’avant mais pas encore suffisamment », elle constate que des médecins nomment leur mal-être. Le médecin Steven Palanchuck pratique à l’hôpital du Haut-Richelieu (HHR). Il réalise Soigner jusqu’à se briser, un balado documentaire qui explore la détresse des soignants à travers des témoignages et des discussions. Il a confié, dans La Presse, avoir eu des pensées suicidaires. Dre Isabelle Larouche-Faucher rappelle qu’en 2023, deux médecins du HHR se sont enlevé la vie en un court laps de temps. « Les gens nous perçoivent comme intouchables, mais il faut réaliser que nous sommes des mères, des conjointes, des sœurs, humaines. Je fais ce que je peux au maximum de mes capacités. Je me donne à 100 % dans tous mes rôles. On fait ce que l’on peut avec ce que l’on a. Je suis à bout de souffle », termine-t-elle.