Montérégie : « crise de la masculinité » à travers le discours masculiniste

Les centres de femmes locaux réagissent à l’essor du discours masculiniste qui se fait entendre sous plusieurs formes, sur plusieurs plateformes.

Le discours masculiniste résonne sur la place publique. « On entend ces pauvres homme qui ont perdu leur masculinité, leur rôle social, donc, on revient à d’anciennes valeurs pour rétablir l’équilibre », remarque Josée Daigle, directrice à Ainsi soit-elle Centre de femmes. Elle n’adhère pas à ce discours. « Il arrive que des gestes de violence posés sur les femmes soient justifiés par la souffrance de l’homme. Si tous les hommes souffrants de la planète devenaient violents, il n’y aurait plus de femmes », nuance Mme Daigle, inquiète face à ce « phénomène ». 

« C’est un mouvement qui fait la promotion de l’antiféminisme et qui encourage la misogynie. C’est un mouvement dangereux pour les femmes, pour leur autonomie et pour leur sécurité. Nous luttons pour les droits de toutes les femmes. Donc, nous ne pouvons être en accord avec leur message », exprime de son côté France Racicot, directrice générale de la Maison Simonne-Monet-Chartrand de Chambly.

Qu’est-ce que le masculinisme?

Mélissa Blais est la professeure de sociologie au Département des sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais. L’antiféminisme fait notamment partie de ses champs de compétences.

À travers ses multiples ouvrages siège L’attentat antiféministe de Polythechnique. Elle en est à compléter une recherche terrain pour la Table des groupes de femmes de la Montérégie sur l’antiféminisme.

« Ce sont des hommes qui ont en commun de prétendre que les féministes auraient occasionné une crise de la masculinité. Ce sont des hommes qui pensent que leur masculinité est menacée par les féministes et qui se mettent en mouvement pour contrer les avancées du féminisme », définit-elle d’abord. Mme Blais ajoute que les masculinistes considèrent que les femmes prennent trop de place, qu’elles seraient trop influentes. Elle souligne que ce mot est en réaction au féminisme. « C’est même cohérent, c’est-à-dire qu’à partir du moment où un mouvement social devient populaire, ça donne l’impression à une partie de la population que ses droits sont menacés », met-elle en reflet. Elle cite entre autres le Ku Klux Klan, né après les droits civiques.

Plusieurs types de masculinistes

Mme Blais explique qu’il y a différentes façons d’être masculiniste. Sur les réseaux sociaux, on voit particulièrement le profil d’hommes barbus, musclés, vivant du succès professionnel, possédant des armes à feu pour certains. Ils sont ce qu’elle nomme « les influenceurs coachs de vie ». « Ils vendent un produit qui est de l’ordre du rêve, celui de proposer aux jeunes garçons des recettes pour devenir riche », décrit-elle. Andrew Tate en est la figure la plus notoire. « Ça vient avec la possession des femmes. La logique du mâle alpha est que le succès d’un homme vient avec ses possessions. C’est de retrouver cet esprit de conquête du marché et des femmes », dépeint-elle. 

La professeure universitaire mentionne que la tendance incel est aussi un autre genre de masculinisme. Contrairement aux influenceurs coachs de vie de type homme alpha, le incel, ou le célibataire involontaire, ne se présente pas physiquement. « Ils sont anonymes. Ils estiment qu’ils sont lésés génétiquement. Ils sont désavantagés dans l’ordre de la séduction et ça les fâche », contextualise Mme Blais.

Risque du discours

La sociologue parle du risque rattaché au discours masculiniste. Elle rappelle les attentats qui ciblent les femmes ou les féminicides, telle la tuerie à la Polytechnique. « C’est un discours physiquement dangereux. Des gestes meurtriers au nom de l’antiféminisme », dit-elle.

Mélissa Blais soutient que les masculinistes sont aussi actuellement « obsédés » par la diversité sexuelle et de genre. « Cette communauté aussi est stigmatisée. »

Surveiller ses adolescents

Les adolescents ont accès à beaucoup d’informations sur le Web. Ce contenu n’est pas toujours porteur de message édifiant. Pour ces futurs hommes en devenir, Mélissa Blais pointe l’importance de mettre de l’avant, en amont, différents modèles « d’hommes qui réussissent ». « La masculinité traditionnelle se porte plutôt bien si l’on regarde les modèles souhaités et proposés aux jeunes hommes », affirme la coresponsable du Chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes.

Elle suggère d’ouvrir des espaces de conversation sur les enjeux « d’égalité non atteinte » afin de développer de l’empathie chez les jeunes hommes. « On produit des êtres sensibles. Ainsi, ils sont capables de voir que ces discours sont dangereux, haineux et problématiques. L’empathie est une forme de prévention des meurtres conjugaux », termine-t-elle en se basant sur des notions de psychologie sociale.