Le public en danger?

Le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi, mercredi, visant à supprimer les agences de placement de personnel infirmier d’ici 2026. Un objectif nettement insuffisant, selon la Fédération interprofessionnelle de la santé.

Le contraste est saisissant. Enya, infirmière autonome, travaille avec des agences privées. Sur les réseaux sociaux, elle affirme toucher un salaire moyen de 90 $ de l’heure avec des baisses à 63 $ de l’heure lorsqu’elle trouve des quarts de travail en dernière minute depuis le début de l’année 2023. Son cas n’est pas unique puisqu’un arrêté ministériel qui plafonnait les salaires des infirmières à 72 $ de l’heure est échu depuis le 31 décembre dernier.

De ce fait, les grilles tarifaires ont grimpé de 30 % environ dès le mois de janvier, la faute à la pénurie de main-d’œuvre et à l’absence de cadre salarial pour les agences. Certaines rémunérations passent même le cap des 100 $ de l’heure! « Nous avons un personnel stable, assure Mohamed Dahmani, gérant d’une agence de placement en Montérégie. On est la solution de soutien pour les structures publiques. Le grand avantage de travailler avec nous est de pouvoir arranger les horaires de travail. »

« La dépendance du réseau aux agences de placement est un fléau qui doit être éradiqué. » – Julie Bouchard

Selon leur expérience, les infirmières du secteur public gagnent entre 24 $ et 45 $ de l’heure, d’après le site du gouvernement. Au-delà du salaire, les conditions de travail sont aussi nettement différentes, avec une charge de travail plus importante, des horaires plus difficiles et du temps supplémentaire obligatoire. « Une multitude de mesures administratives ont été mises en place pour soutenir nos équipes de soins, explique le CISSS de Montérégie-Centre. Nous avons rehaussé des postes à temps partiel en postes à temps complet pour les employés qui le souhaitent et aussi utilisé des primes pour combler les quarts moins populaires, surtout le soir et la nuit. De plus, nous avons établi une entraide des autres professionnels et assigné des équipes volantes selon les besoins de l’organisation. Enfin, nous avons laissé l’autogestion des horaires dans plusieurs secteurs. Pour la période du 15 janvier au 11 février, le taux d’heures travaillées par la main-d’œuvre indépendante est de l’ordre de 2,56 % contre une moyenne de 3,66 % dans la province. »

Quel avantage pour le public?

Christian Dubé a pris la parole, mercredi dernier, afin d’annoncer le dépôt d’un projet de loi. Celui-ci vise à s’affranchir de la main-d’œuvre indépendante dans les organismes de santé et de services sociaux. Des pénalités financières et pénales sont prévues aux contrevenants, sauf exceptions. Or, ce plan vise une suppression totale des agences de placement de personnel infirmier d’ici 2026, selon les régions où certaines sont davantage dépendantes des agences privées. Les exceptions restent à la discrétion du ministre. Des procédures insuffisantes, selon la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). « La dépendance du réseau aux agences de placement est un fléau qui doit être éradiqué, tempête Julie Bouchard, présidente de la FIQ. Le dépôt du projet de loi aurait dû être un signal clair que le ministre voulait vraiment s’y attaquer. Force est de constater qu’il a accouché d’une souris et, malheureusement, les agences continueront à faire la pluie et le beau temps, et ce, au détriment des professionnels en soins fidèles au réseau public. »

Selon le ministère de la Santé, la main-d’œuvre indépendante a coûté 960 millions de dollars en 2022, soit une augmentation de 380 % depuis 2016. Le constat majeur, selon le syndicat, reste le refus d’un retour dans le réseau public pour les infirmières séduites par le privé dans les circonstances actuelles. « Si une chose reste claire pour la Fédération, c’est que l’existence même des agences dépend directement des mauvaises conditions de travail du réseau public, poursuit la présidente. Elles offrent de meilleures conditions de travail, un contrôle sur l’horaire de travail et davantage, tout en chargeant des prix exorbitants pour leurs services. Ces agences ont les deux mains dans le plat de bonbons depuis tellement d’années! C’est à cela que l’on s’attendait que le ministre allait s’attaquer. »