Conditions des travailleurs migrants temporaires : un visa dans la balance
Un rapport de l’ONU pointe l’attribution du visa à un employeur unique pour les migrants temporaires au Québec. L’organisme estime que certains employeurs peuvent abuser de la situation et parle «d’esclavage moderne ».
Guillermo Martinez Galindo et Ezequias Albanir Cuazoson connaissent bien Rougemont. Et pour cause, ils travaillent au potager Mont-Rouge depuis neuf ans. « On est venu ici afin d’améliorer notre niveau de vie, explique le premier nommé. On redistribue ensuite l’argent à notre famille dans notre pays d’origine. » Et Ezequias Albanir Cuazoson d’ajouter. « La conversion du dollar en pesos est vraiment avantageuse. » Originaire d’Aguascalientes, Guillermo Martinez Galindo cherchait un projet. « C’est plus difficile de trouver du travail au Mexique qu’au Canada. »
Un métier physique
Concernant les conditions de travail, les deux hommes ne se plaignent pas. « Il existe des moments plus difficiles que d’autres. Mais c’est normal, c’est le travail qui veut cela. Dans l’ensemble, nous sommes vraiment satisfaits d’être ici. »
Marielle Farley, propriétaire du potager Mont-Rouge, compte dans son rang 32 employés migrants actuellement. Alors qu’un rapport de l’ONU pointe les méthodes de travail concernant des migrants temporaires au Québec en les qualifiant d’esclavage moderne, elle livre sa vision sur la gestion des membres de son équipe. « Ici, tu n’es pas Guatémaltèque, Mexicain ou Hondurien. Tu es un collègue qui se lève le matin pour travailler pour le potager Mont Rouge. Et à ce titre, tu as droit au même respect que n’importe qui d’autre. Des normes du travail existent et nous les respectons. »
« Le principal est d’avoir une éthique. » – Marielle Farley
Le plus ancien migrant du potager Mont-Rouge vient depuis 24 ans. Marielle Farley possède une certaine expérience et partage son concept de travail. « Comme toute entreprise d’un autre domaine, nous avons un service RH. En cas de problème de santé, d’accident ou avec la paie, nous avons des personnes prêtes à s’en occuper. Je vois davantage mes collègues de travail que ma propre famille pendant une saison et je les considère comme tels. Le principal est d’avoir une éthique. »
Malgré tout, la propriétaire reconnait qu’il existe des périodes plus exigeantes que d’autres. « Effectivement, il existe des semaines où l’on demande de travailler 80 heures. C’est l’activité qui veut cela et les agriculteurs comprennent que nous travaillons avec la nature. Le problème est que si ces périodes se répètent ou s’éternisent, cela veut dire que vous êtes mal organisés. »
La pénibilité du travail est reconnue par les agriculteurs et Marielle Farley a sa recette pour poursuivre l’adhésion de tous. « Cela passe par des petites attentions. On peut leur demander s’ils vont bien, leur offrir un rafraichissement ou du repos supplémentaires après une bonne journée de travail. La grosse récompense, c’est bien aussi mais elle peut être très loin dans le temps. L’écoute et la reconnaissance sont les principaux moteurs du succès. On ne peut pas y arriver seul. Or, il faut permettre aux agriculteurs de donner leur 100 % et ainsi tout le monde y gagne. On pointe le domaine agricole mais d’autres entreprises sont aussi concernées par l’abus de traitement d’employés migrants temporaires. »
Auteur du film Richelieu, sorti en 2023, Pier-Philippe Chevigny a tenu à souligner les conditions précaires des agriculteurs migrants temporaires au Québec. « Le noeud du problème est la délivrance du visa temporaire à un employeur unique. J’ai mis plusieurs années pour réunir les informations afin de réaliser ce film. Déjà en 2013, on parlait d’esclavage moderne. Je suis allé dans ma région d’origine à Sorel pour rencontrer les gens afin de réaliser un documentaire. Je me suis rapidement aperçu que personne n’allait parler. J’ai donc réaliser une fiction pour aborder ce sujet. »
Un système à revoir
L’oeuvre pointe aussi les injustices vécues par ces travailleurs. « Cela ne concerne pas tous les employeurs. Mais certains abusent clairement de leur position dominante du fait que si les agriculteurs étrangers temporaires perdent leur emploi, ils doivent quitter le pays. »
Pour Richelieu, Pier-Philippe Chevigny s’est rapproché d’ouvriers guatémaltèques. « Il faut savoir que le taux d’illettrisme au Guatemala est de 50 à 60% de la population. Parmi eux, certains parlent autochtone, l’espagnol n’est même pas leur langue d’origine. On peut donc facilement comprendre leur situation de vulnérabilité. Leur ambition autour de leur venue au Québec est de pouvoir entretenir leur famille respective ainsi que leur communauté. Il faut savoir que le coût de la vie est extrêmement élevé là-bas. Pour cela, ils doivent s’endetter, possiblement auprès des narcos, afin de financer des entreprises privées qui les envoient au Québec. Et s’ils ne reviennent pas avec la somme attendue, leur sécurité est compromise. »
La solution viendrait d’une modification des critères des visas selon le réalisateur. « C’est tout un système à revoir. Les agriculteurs ne sont pas toujours au courant de leurs droits ici. Heureusement, la majorité des employeurs est bienveillante. »