Chronique histoire : déportée en terre inconnue
Les guerres et les conflits déchirent notre planète. À force de vivre en paix ici, on oublie que les habitants de la seigneurie de Chambly ont subi les horreurs de la guerre.
Marie-Marthe Neveu naît le 6 avril 1744 à Saint-Mathias-sur-Richelieu. Elle grandit entourée d’histoires de soldats. Son père, Louis Neveu en est fort probablement un. Le père et le grand-père maternel de sa mère, Marie-Anne Bourdet, ont aussi été soldats en Nouvelle-France. Lors de son baptême, le sergent Antoine Grisé lui sert de parrain alors que sa marraine, Marie-Marthe Poyer, est l’épouse du sergent Jean Monty et fille du sergent Jacques Poyer.
Elle sait donc un peu à quoi s’attendre lorsqu’à 16 ans, elle épouse Yves Bouillette, le 5 mai 1760 à Chambly. Celui-ci, 24 ans, soldat au fort Saint-Jean, vient d’obtenir la permission de se marier et de s’établir dans la colonie. La guerre meurtrit la Nouvelle-France depuis cinq longues années, mais elle achève. Marie-Marthe est confiante : à la paix, ils pourront élever leur famille sur leur terre près du fort Chambly.
Mais le destin est cruel pour Marie-Marthe. Le fort Chambly tombe le 1er septembre 1760. La terre des jeunes époux est dévastée par les tranchées creusées par les Anglais pour assiéger le fort. Ils perdent toutes leurs possessions. Prisonniers de guerre, ils sont amenés à New York, d’où un navire les conduit au Havre en France en février 1761. Bouillette, blessé deux fois pendant la guerre, tombe gravement malade et doit être hospitalisé dès leur arrivée. Marie-Marthe se retrouve seule dans une ville qu’elle ne connaît pas, sans ressources, sans famille pour la soutenir.
Lorsque Bouillette retrouve un semblant de santé en mars, il rate l’occasion de se faire inscrire sur la liste des invalides et toucher une maigre pension. Ce n’est qu’en 1769 qu’il réussit enfin à présenter une demande. Marie-Marthe et lui ont maintenant deux enfants, âgés d’un et trois ans. N’ayant aucun métier ni l’un ni l’autre, ils sont réduits à la plus grande misère « sinon la chétive et misérable ressource que de filer de la laine ».
Ainsi se ferme le dossier concernant Marie-Marthe Neveu et son mari Yves Bouillette. Celui-ci n’a pas été admis à la demi-solde. Marie-Marthe n’est pas revenue terminer sa vie à Saint-Mathias, où la paix règne depuis ce jour de septembre 1760.