Chambly : les raisons de la colère des médecins
Un médecin de famille de la région de Chambly a accepté de dévoiler les conséquences de la Loi 2 sur son quotidien.
« Comprenez-moi. Je ne peux vous livrer mon nom, car il est possible d’être puni d’une amende de 20 000 dollars si l’on critique la Loi 2 publiquement. »
« Le gouvernement s’est engagé à donner un médecin à chaque Québécois, mais cela ne veut pas dire que ça réglera les problèmes. » – Un médecin de la région de Chambly
Ce professionnel de la santé exerce en tant que médecin de famille dans la région de Chambly. Alors que le gouvernement a adopté récemment, sous bâillon, une loi spéciale modifiant le système de rémunération des médecins, notre interviewé estime que les répercussions sont négatives. « C’est le Québécois, patient et docteur, que l’on punit. »
Un travail à la chaîne
Pour expliquer son propos, le médecin revient sur la volonté du gouvernement de faciliter l’accès aux soins pour tous. « On nous impose de prendre en charge tous les patients orphelins du Québec, sans que nous ayons notre mot à dire. Si l’on n’y arrive pas, notre rémunération de performance sera supprimée. Je compte environ 1 300 patients à l’année, dont plus de la moitié est jugée vulnérable, c’est-à-dire des cas de cancer, de problèmes cardiaques ou pulmonaires. La moyenne d’âge se situe aux alentours de 70 ans. Je ne fais pas de bobologie. Alors, comment je fais? »
Déjà occupé, ce médecin de famille de la Vallée-du-Richelieu insiste sur la qualité des soins qu’il administre. « Je vois deux ou trois patients par heure. Récemment, je réalisais un bilan annuel avec une patiente. Cela demande trente minutes. Mais cette fois, je sentais qu’elle n’allait pas bien. J’ai insisté et creusé pendant plusieurs minutes. Elle finit par me dire qu’elle subit des violences conjugales depuis 50 ans! Imaginez bien que l’entretien a duré trente minutes de plus. Avec la nouvelle loi, cette écoute prolongée ne sera pas possible, puisqu’il faudra voir plus de patients à l’heure sous peine d’avoir des pénalités. On proposera de la médecine fast-food en ne faisant que survoler les problèmes. »
Un salaire moindre
La rémunération changera aussi. Le médecin s’en inquiète. « Actuellement, je facture 60 $ de taux horaire et 30 $ par consultation, confie-t-il. Avec la nouvelle loi, je passerai à 26 $ de taux horaire et 16 $ par consultation. Cela signifie que je devrai voir près de huit patients par heure pour avoir la même paye, c’est-à-dire six à huit minutes par patient! Or, je ne fais pas médecine pour l’aumône, j’ai aussi des factures à payer. Je vais probablement voir quatre ou cinq patients de l’heure. Le gouvernement s’est engagé à donner un médecin à chaque Québécois, mais cela ne veut pas dire que ça réglera les problèmes. »
S’il doit augmenter le nombre de patients à consulter, ce médecin voit de lourdes conséquences sur sa vie privée. « Pour obtenir ma rémunération de performance, je devrai ajouter mes heures de travail. Or, je fais déjà 8 h – 17 h du lundi au vendredi. Si je veux respecter la cadence, je devrai travailler jusqu’à 20 h! La loi stipule aussi que le temps supplémentaire au-delà de 12 h par jour ne sera pas payé, c’est une aberration de plus! Les médecins les plus performants reçoivent 1 800 patients par année. Et encore, ce sont des cas plutôt simples. Comment faire si, selon mes calculs, je dois travailler avec 2 600 patients? C’est impossible! »
Départ du Québec envisagé
Ainsi, ce médecin songe sérieusement à quitter le Québec. « C’est triste, car j’ai réussi à conjuguer vie professionnelle et vie familiale. La loi va vraiment dans le mauvais sens et l’Ontario pourrait être intéressant, car il paiera mon amende sanctionnant mon départ du Québec. Cela peut monter jusqu’à 500 000 $! Mes collègues et moi-même sommes très choqués et on se demande ce que l’on a fait pour mériter cela. »
Interrogé sur cette loi, l’organisme Santé Québec est en pleine réflexion. « Nous sommes en train d’analyser cette loi. Nous voulons prendre le temps de bien comprendre sa portée et écouter le terrain aussi. »
